HoMa contre Hochelag’

Les commerces-symboles

On les accuse d’embourgeoiser le quartier. Ils ont été ciblés par les vandales. Petits portraits de commerçants qui sont devenus des symboles.

ARIANE ST-PIERRE-CYR

BOUTIQUE ET ATELIER ELECTRIK KIDZ

Quand ils ont déménagé dans le secteur le plus défavorisé d’Hochelaga-Maisonneuve il y a trois ans, Ariane St-Pierre Cyr et son conjoint Christian Simard ne se doutaient pas qu’ils allaient finir par récupérer leur chat disparu… dans une boutique de prêteur sur gages.

« Il avait été pawné pour un quart de poudre. On l’a racheté », raconte Ariane St-Pierre Cyr avec un sourire.

Le couple avait quitté le Plateau-Mont-Royal, devenu trop cher. « On a subi l’embourgeoisement du quartier. On n’avait plus les moyens d’y habiter. » Son entreprise, Electrik Kidz, fabrique et vend depuis cinq ans des vêtements pour enfants partout dans le monde par l’entremise du web, avec un bon succès. Les clients sont au Japon, à Taiwan, aux États-Unis, à Dubaï…

« Quand on a cherché un local pour l’entreprise, on a regardé un peu partout, mais on voulait avoir pignon sur rue. » Dans Hochelaga-Maisonneuve, les prix étaient quatre à cinq fois moins élevés que sur le Plateau. « On s’est dit : on ose ! », dit Ariane.

Et c’était effectivement tout un pari. Le local qu’ils ont trouvé rue Sainte-Catherine, au cœur de la zone la plus défavorisée d’Hochelaga-Maisonneuve, était abandonné depuis sept ans. C’était l’ancienne Maison Hélène, qui a vendu des robes de mariée aux Montréalaises pendant 30 ans. « Presque tous les commerces autour étaient abandonnés. »

Évidemment, les produits Electrik Kidz ne sont pas tout à fait dirigés vers la clientèle traditionnelle du quartier. Aucun travailleur au salaire minimum ne pourrait se payer cette bavette pour bébé de la collection-capsule David Bowie, qui se détaille 25 $, ou ce pyjama Passe-Partout à 45 $.

C’est pourquoi la boutique-atelier s’est retrouvée ciblée par les vandales, en février dernier. Ces derniers ont aspergé les vitrines de peinture. « Ça n’a pas été facile. On ne comprenait pas. On essaie de donner un hype au quartier pour le revitaliser », dit Ariane.

« Si je partais, ce serait probablement barricadé. Est-ce que c’est ça qu’on veut ? »

— Ariane St-Pierre Cyr

Blessés par l’attaque contre leur commerce, les deux entrepreneurs ont donc publié un long message sur Facebook, dirigé vers ceux qu’ils appelaient les apprentis justiciers. « Allez-y, saccagez notre quartier comme vous voulez, nous serons toujours là pour reconstruire quelque chose de plus beau ensuite. Nous ne partirons pas. »

Leur message, retransmis des milliers de fois, a soulevé un torrent de commentaires, près de 650 personnes ont appuyé l’entreprise… ou l’ont vertement condamnée. « On s’est fait dire de déménager à Westmount, dit Ariane. On a essayé de rester de glace. »

ANGEL MICHAUS ET ROSE-MARIE DESJARDINS

BISTRO BAGATELLE

Le couple a déménagé du Plateau-Mont-Royal pour venir s’établir dans Hochelaga-Maisonneuve, où il a acheté un condo il y a 11 ans. Dès son arrivée, il a ouvert ce café, rue Ontario. Chose rare à l’époque, on y vendait du bon café, des repas de qualité.

« Quand on est arrivés ici, les gens ne nous donnaient pas six mois, raconte Angel en souriant. On a commencé avec 12 places. Maintenant, on en a 50. »

Ils ont au départ rentabilisé l’entreprise avec un service original de livraison à vélo pour des boîtes à lunch destinées aux travailleurs des entreprises du quartier. « Les gens disaient : “Enfin, on peut manger autre chose que de la poutine !” », dit Rose-Marie.

En 2013, les deux proprios ont été victimes d’un acte majeur de vandalisme : on a fracassé les vitrines de leur commerce à coup de briques. « C’est triste et agressant. Surtout que tous les gens qui travaillent pour nous sont issus du quartier. Tous nos travaux, on les fait faire par des gens du quartier. C’est sûr que le quartier change. Mais il y a de la place pour tout le monde. »

Depuis, le commerce est régulièrement victime de petits actes de violence. On crache dans les vitres, on arrache les tables vissées à la terrasse, on vole les pourboires des serveurs. « Ça arrive souvent, et on n’est pas les seuls, dit Angel. Mais on nettoie et on continue. »

ELISE BELLEROSE

ANTIDOTE COMPTOIR VÉGANE

Elise Bellerose a elle aussi longtemps vécu sur le Plateau. Il y a six ans, elle a déménagé dans Hochelaga-Maisonneuve. Elle adore l’esprit du quartier. « C’est comme un village, tout le monde se salue. »

Quand elle a voulu ouvrir son resto végétalien, en 2014, Élise a fait faire des études de marché dans Griffintown et dans Rosemont. « Et après je me suis dit : “Mais pourquoi je ne m’installerais pas dans mon quartier ?” » L’étude de marché dans Hochelaga-Maisonneuve a été concluante. 

« J’ai été agréablement surprise, il y a beaucoup de végétariens et de végétaliens dans le quartier. »

— Elise Bellerose

Chez Antidote, on sert donc des sandwiches au tofu et cari rouge, de fausses omelettes faites avec de la farine de pois chiches accompagnées de bacon de seitan. Les clients peuvent également y faire leur épicerie et mettre du « faux-mage », des végépâtés et des boulettes de faux bœuf haché dans leur panier.

Cette année, la jeune entrepreneure de 31 ans aux cheveux roses et aux bras tatoués a vu deux fois les vitres de sa porte d’entrée se faire fracasser. Des graffiteurs ont dessiné sur sa devanture. « On répare et on ne stresse pas », dit-elle.

Élise s’étonne qu’on la perçoive comme un facteur d’embourgeoisement. « Je suis une jeune entrepreneure, je vis dans le quartier, j’engage des gens du quartier et je suis loin d’être riche : je suis surendettée ! » Elle travaille sept jours sur sept. Elle a à peu près tout fabriqué dans la déco de son resto, faite de matériaux recyclé. « J’en ai sué un coup ! »

« S’ils ciblent la gentrification, il y en a, des commerces, qui s’en mettent plein les poches. Pourquoi c’est si peu cher chez Tim Hortons ? Parce que c’est de la cochonnerie ! Pourquoi ils ne les ciblent pas, eux ? C’est très paradoxal. »

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